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mercredi 25 février 2015

Mentalités et comportements au temps de la croisade (23) LE SIÈGE ET LA PRISE DE JERUSALEM.

JERUSALEM A L'APPROCHE DU SIÈGE SELON GUILLAUME DE TYR

" Cependant les habitants de Jérusalem,  instruits... de la marche de nos troupes, et sachant bien que cette immense multitude de Chrétiens qui s'avançait vers eux avait principalement pour objet de s'emparer de leur ville, s'occupaient ...  du soin de la fortifier.. [de] rassembler de toutes parts et faire ensuite transporter dans la ville de nombreux approvisionnements en denrées, en armes de toutes sortes, et des divers objets qui peuvent être de quelque utilité dans une place assiégée.

Le prince égyptien, qui, dans le cours de cette même année (en fait l'année précédente), était parvenu.... , à expulser les Turcs ( de l’Émirat seldjoukide de Damas) de Jérusalem et à s'en rendre maître, ordonna de réparer les tours et les murailles , il fit entrer à Jérusalem un grand nombre d'hommes forts et adroits, parfaitement bien armés.

Puis ils se rassemblèrent tous dans le vestibule de la mosquée (Al-Aqsa)  qui était extrêmement vaste, et résolurent, pour mieux s'opposer à l'arrivée des armées chrétiennes, de mettre à mort tous les [chrétiens ]  qui habitaient dans la ville, de renverser de fond en comble l'église de la Sainte-Résurrection et le sépulcre du Seigneur, afin que les Croisés renonçassent à leur projet de s'approcher de la ville, ou même d'y entrer...

Cependant, comme ils apprirent qu'une telle conduite exciterait contre eux les haines les plus violentes, et irriterait les peuples Croisés [ au point qu'ils décideraient] l'entière destruction des habitants, ils changèrent d'avis et enlevèrent de vive force aux [chrétiens]  tout leur argent et tout ce qu'ils pouvaient posséder ;  en outre,  ils exigèrent une somme de quatorze mille pièces d'or, tant du patriarche que des habitants de la cité et des monastères."

Ce premier extrait de Guillaume de Tyr témoigne de la profonde différence des mentalités entre les musulmans de Jérusalem et les croisés : certes, dans un premier temps, les musulmans de Jérusalem assemblés décidèrent de tuer tous les chrétiens et de détruite le Saint-Sépulcre. Pourtant ils ne le firent pas, ne tuèrent personne,  ne détruisirent aucun édifice chrétien et ne les profanèrent pas, ils n'imposeront qu'une rançon à la communauté chrétienne qui est d'ailleurs moindre que celle que l'émir de Tripoli versa aux croisés.

 A cet égard, le contraste de ces musulmans avec le comportement qu'auront les croisés après la prise de Jérusalem sera total. Il convient cependant de ne pas verser dans l'angélisme : on se rappelle la destruction et lé saccage du saint sépulcre par le calife fatimide Al-Hakkim et les pillages lors de la prise de Jérusalem par les turcs Seldjoukides...


lundi 23 février 2015

Mentalités et comportements au temps de la croisade (21) LE SIÈGE D'ARCHIS

LE SIÈGE D'ARCHIS (14 février-13 mai 1099) : L'AFFAIRE DE LA SAINTE LANCE

La sainte Lance avait été découverte par un provençal dans le sol de la basilique d'Antioche. Remise au comte de Toulouse et à l'évêque du Puy, elle avait redonné confiance aux croisés assiégés par l'armée de l'atabeg de Mossoul,  ce qui leur avait permis la victoire. Depuis, elle était conservée par le comte de Toulouse. Jusqu'au siège d'Archis, il s'était certes posé des questions sur son authenticité mais sans qu'elle soit vraiment  remise en cause.

Pendant le siège d'Archis, la question fut relancée d'une manière insistante tant par le peuple que par le conseil des princes et en particulier par un clerc dépendant du duc de Normandie. Cela conduisit celui qui avait découvert la lance, un certain Pierre Barthélémy, à  demander à être livré à une ordalie, le jugement de Dieu, : "  Je veux et je supplie qu’on fasse un très grand feu ; je passerai au travers avec la lance du Seigneur. Si c’est la lance du Seigneur, je passerai sain et sauf ; si c’est une fausseté, je serai brûlé par le  feu.... On fit en branches sèches d’olivier, un bûcher qui avait quatorze pieds en longueur: il y avait deux monceaux de bois, entre lesquels on avait laissé un vide d’un pied de largeur environ [ pour permettre à Pierre Barthélémy de passer], et chacun des deux monceaux de bois avait quatre pieds de hauteur." (4)

Sur les résultats de l'ordalie, on dispose de trois textes qui donnent des résultats assez différents :

D'abord le récit de RAYMOND D'AGUILLIERS qui était le chapelain du comte de Toulouse
Lorsque le feu fut violemment allumé; moi, Raymond, je dis,  en présence de toute la multitude : « Si Dieu tout-puissant a parlé à cet homme face à face, et si le bienheureux André lui a montré la lance du Seigneur, tandis qu’il veillait lui-même, qu’il passe à travers ce feu sans être blessé: mais s’il en est autrement, et si ce n’est qu’un mensonge, qu’il soit brûlé avec la lance qu’il portera dans ses mains. » Et tous fléchissant les genoux, répondirent: « Amen ! »

Après que Pierre Barthélemy fut sorti du feu,  bien que sa tunique ne fut point brûlée, et qu’on ne put non plus découvrir aucun indice de la moindre atteinte sur la pièce d’étoffe très fine avec laquelle on avait enveloppé la lance du Seigneur, le peuple se jeta sur lui, lorsqu’il eut fait sur tout le monde le signe de la croix, avec la lance du Seigneur, et crié à haut voix: « Dieu nous aide; » (4)

FOUCHER DE CHARTRES
L'auteur précise d'abord que quand la lance avait été présentée  " à l'évêque du Puy et au comte Raymond, l'évêque croyait toute cette histoire fausse,  le comte Raymond, au contraire, se flattait qu'elle était vraie.  Cependant tout le peuple, plein de joie, glorifiait le Seigneur...  tous la tenaient en grande vénération, le comte Raymond lui prodiguait les plus signalés honneurs, et s'en était  rendu lui-même le gardien,"

Toutefois [beaucoup] doutaient que cette lance fût celle du Seigneur, et pensaient que c'en était une autre que cet homme grossier disait faussement avoir trouvée. On tint donc une grande assemblée; puis, après trois jours de prières et de jeune, le huitième mois depuis la prise d'Antioche, on mit le feu à un tas de bois au milieu même du camp... les évêques donnèrent leur bénédiction à ce feu, dont l'épreuve devait servir de jugement; et l'homme qui avait trouvé la lance passa vite et résolument au milieu du brasier enflammé. On reconnut aussitôt qu'en le traversant, cet homme, comme il arrivait à tout vrai coupable, avait eu la peau brûlée par la flamme, et l'on présuma promptement que quelque partie intérieure de son corps devait être mortellement endommagée,  cela fut bientôt clairement confirmé par la fin de ce criminel imposteur, qui mourut le douzième jour des douleurs de sa brûlure. Cédant à la force de cette preuve, tous les nôtres qui avaient vénéré cette lance, cessèrent de croire à sa sainteté, mais furent attristés  Quant au comte Raymond,  il conserva très-longtemps cette lance, et la perdit par je ne sais quel accident. (2)

GUILLAUME DE TYR
Parmi les princes,  les uns disaient que c'était bien la même lance qui avait été trempée dans le sang du Seigneur, au moment où on lui ouvrit le flanc, et qu'une inspiration divine l'avait révélée à l'armée des Croisés, pour les consoler dans leur affliction ; d'autres affirmaient que c'était une invention...  uniquement par un motif d'avidité, et qui ne faisait que mettre au jour la fourberie du comte de Toulouse.

Tandis que le peuple s'entretenait diversement sur ce sujet, l'homme qui affirmait avoir eu cette révélation, voulant ... dissiper tous les doutes, ordonna d'allumer un grand bûcher, promettant qu'avec l'aide de Dieu et en se soumettant à l'épreuve du feu, il prouverait à tous les incrédules qu'il n'y avait eu dans son récit aucune tromperie, ni aucune fausse interprétation, et tout ce qu'il avait rapporté était bien le fait d'une révélation divine.  On disposa donc un grand bûcher, et l'on y mit le feu.

l'homme qui devait subir de son plein gré une si périlleuse épreuve se nommait Pierre Barthelemi, c'était un clerc peu lettré,(precedemment, Guillaume de Tyr avait parlé d' un paysan)   et qui paraissait très simple... il prit en main la lance et traversa le feu, sans en être blessé, du moins à ce que le peuple crut voir. Cependant, loin de décider la question, cette action ne fit qu'en susciter une autre encore plus difficile. Barthelemi mourut peu de jours après, et quelques-uns affirmèrent que une mort si prompte ne pouvait provenir que de l'épreuve qu'il avait voulu tenter, et qu'il avait trouvé une occasion de mort dans le feu pour s'être porté le défenseur d'une fraude. D'autres disaient au contraire qu'il était sorti sain et sauf du bûcher, et qu'après qu'il avait échappé à l'action du feu, la foule, se précipitant sur lui dans son transport de dévotion, l'avait tellement serré et écrasé de tous côtés que c'était là la véritable et unique cause de sa mort. Ainsi cette question demeura encore complètement indécise, et fut même enveloppée d'une plus grande obscurité." (1)

Ainsi apparait trois versions différentes des résultats de l'ordalie :
     . Pour Foucher de Chartres, la lance était fausse puisque celui qui l'avait découverte a été brûlé lors de l'ordalie,
     . Pour Raymond d'Aguilliers, la lance est authentique puisque Pierre Barthélémy est sorti indemne du feu, cependant, ce témoignage est suspect puisque Raymond d'Aguillers est un partisan et un proche du comte de Toulouse.
     . Enfin Guillaume de Tyr indique que l'ordalie n'a rien révélé : Pierre Barthélémy  est-il mort des suites de ses brûlures ou de la foule qui l'a oppressé ?

Ce qui est le plus intéressant dans le texte de Guillaume de Tyr, fut l'accusation lancée en conseil des princes à l'encontre du  comte de Toulouse, qui aurait inventé la lance par avidité et  fourberie : manifestement, cette opération était destinée à déconsidérer le comte de Toulouse.

Un dernier point est à noter à propos de cette lance, la mention faite par Foucher de Chartres que le comte de Toulouse conserva la lance longtemps et la perdit en sorte que jamais on ne l'a retrouva : perdre une relique de cette importance serait assez assez surprenant si la lance avait été authentique !

Ainsi déconsidéré, ayant perdu toute influence, et abandonné des princes qui l'avaient accompagné jusque là, le comte de Toulouse fut obligé de lever le siège d'Archis et de partir avec le reste de l'armée vers Jérusalem.

Rappel des sources
   . 2- Foulcher de Chartres (vers 1055- vers 1127) : " Historia hierosalmitana "
   . 1 Guillaume de Tyr ( né en 1130 en terre sainte,  archevêque de Tyr de 1175 à 1184):   "Historia rerum in partibus transmarinis gestarum "
   . 3 auteur Anonyme : " Gesta Francorum et Aliorum Hierosolymitanorum", récit d'un contemporain de la croisade écrit probablement entre 1099 et 1101
   . 4- Raymond d'Aguilliers, chapelain de Raymond de saint Gilles dans "Historia Francorum qui ceperunt Jerusalem"

dimanche 22 février 2015

Mentalités et comportements au temps de la croisade (20) LE SIÈGE D'ARCHIS


LE SIÈGE D'ARCHIS (14 février-13 mai 1099) : LES ÉVÉNEMENTS DIPLOMATIQUES

Pendant que semblait s'éterniser le siège d'Archis, se produisirent deux événements diplomatiques dont l'un compliqua encore  les relations entre les chefs croisés.

Les princes virent d'abord venir une nouvelle ambassade venue d'Égypte. Le Vizir Al-Afdal leur offrait son alliance militaire ; elle était assortie de l'engagement d'autoriser  la liberté des pèlerinages aux lieux saints et en particulier au Saint-Sépulcre. De même, les croisés aurait l'autorisation d'entrer dans Jérusalem par groupes de 200 à 300.

Cet engagement était-il une ruse du Vizir ? Probablement pas, en fait il proposait un retour au statut-quo du traité de 1027 qui avait autorisé les pèlerinages et concédé aux chrétiens un quart de la ville de Jérusalem.

Les chefs croisés refusèrent ces propositions, leur but n'était plus seulement la liberté des pèlerinages mais aussi la délivrance de Jérusalem et sa conquête.

Le deuxième  événement diplomatique fut la venue d'une ambassade de l'empereur Alexis 1er. : " Les princes avaient reçu aussi des députés de l'empereur de Constantinople, chargés de leur porter plainte contre le seigneur Bohémond qui, disaient-ils, osait retenir (pour lui) la ville d'Antioche malgré le texte des traités et le serment de fidélité qu'il avait prononcé. Ils dirent, en outre, en présence des princes, que tous ceux qui avaient passé à Constantinople s'étaient engagés ...par serment, la main sur les Saints Évangiles, à ne...retenir pour eux... aucune des villes qui auraient fait auparavant partie de l'Empire, et à les restituer au contraire à l'empereur, s'ils parvenaient à s'en rendre maîtres.. " (1)

Les chefs croisés usèrent vis à vis des députés impériaux des récriminations habituelles : ils rappelèrent que l'empereur s'était engagé " à suivre lui-même l'expédition des Chrétiens, à la tête de nombreuses troupes" et fourni l'assurance " qu'il prêterait secours aux princes dans toutes les choses dont ils auraient besoin.. il avait en outre promis d'entretenir de continuelles relations avec eux par mer et par ses vaisseaux, et de leur faire fournir en abondance, sur toute la route, toutes les denrées dont ils pourraient avoir besoin  ; cependant il avait négligé frauduleusement d'accomplir ses promesses quand il lui eût été extrêmement, facile de les faire exécuter. En conséquence..  à Antioche... (Les princes)  étaient complètement dans leur droit, .. et que celui (Bohémond)  auquel ils avaient, librement et d'un commun accord, fait la concession de cette ville, en demeurât en  possession, pour en jouir lui et ses héritiers à perpétuité. (1)

" Les députés de l'Empereur insistèrent cependant pour engager les princes à attendre avec leur armée l'arrivée de leur maître, faisant tous ses efforts pour leur persuader qu'il ne manquerait pas d'arriver au commencement de juillet, (1)

Cette dernière proposition fut suivie d'une réunion houleuse du conseil des chefs croisés : en effet,  le comte de Toulouse fut d'avis d'attendre les troupes envoyées par l'empereur., contrairement à tous les autres qui voulaient partir immédiatement pour Jérusalem,

Les raisons du comte de Toulouse étaient évidentes :
     . Le siège d'Archis s'éternisait,  les assauts des croisés n'arrivaient pas à s'en emparer de la ville ; le comte espère donc que la venue de renforts permettra enfin de la conquérir.
    . Cet avis d'attendre les armées impériales n'était pas dépourvu d'arrière-pensées :  pour le comte de Toulouse, la conquête  d'Archis était, selon moi,  le prélude à un projet personnel de conquête plus vaste, celle du petit état de Tripoli dont la richesse était grande. C'est d'ailleurs dans cette perspective qu'il avait incité à l'abandon du siège de Gibel : manifestement, à Archis, Raymond combattait pour lui et non pour la croisade.
     . A cela s'ajoutait une autre considération : les députés de l'empereur ne se plaignaient que de l'attitude de Bohemond, Alexis 1er avait pour but de récupérer les terres qui appartenaient à l'empire byzantin antérieurement à la bataille de Manzikert de 1071 ; dans cette perspective, Raymond de Toulouse estimait que Tripoli n'était pas concerné par le traité juré entre les croisés et le Basileus. En outre, il va de soi que Raymond ne serait sans doute pas mécontent de se débarrasser d'un rival assez redoutable.

Ainsi le comte de Toulouse avait tout avantage à attendre les armées byzantines et l'empereur : il pourrait s'emparer d'Archis, se constituer une principauté autour de Tripoli, devenir un allié d'Alexis contre Bohemond.

A l'inverse,  La majorité des chefs croisés déclarèrent vouloir " poursuivre leur route et marcher sans retard à l'accomplissement des vœux pour lesquels ils avaient déjà supporté tant de fatigues. Il leur paraissait surtout convenable d'éviter... les artifices de l'Empereur, dont ils avaient eu si souvent à se plaindre, (de se laisser) envelopper ... dans le labyrinthe de sa politique tortueuse, et d'avoir ensuite grand-peine à s'en débarrasser." (1)

Les querelles s'enveniment à tel point que l'émir de Tripoli qui avait offert beaucoup d'argent pour que les croisés lèvent le siège d'Archis crut qu'il lui serait possible de les vaincre militairement : il tenta d'attaquer mais fut facilement vaincu.

Pendant cette période, l'aura du comte de Toulouse avait singulièrement pâli :
     . D'abord à cause de ce trop long siège et des assauts contre Archis  qui  tous échouaient ; "les Chrétiens se consumaient en vains efforts ; toutes leurs fatigues, toutes leurs attaques demeuraient sans résultat-, en sorte qu'il devint évident que la faveur divine s'était retirée, en cette circonstance, de l'armée des assiégeants" (1).  beaucoup se demandaient pour quelle raison, il fallait effectuer ce siège.
    . Ensuite, il y eut la trahison supposée de Raymond qui avait amené à  l'abandon du siège de Gibel.
    . Enfin, s'ajouta le problème de la sainte Lance que Raymond possédait et dont ils se servait  pour se prétendre l'inspirateur de la croisade et son guide...

(1) Guillaume de Tyr